NOTE D’INTENTION

Le temps défile et j’ai le sentiment que le monde qui nous héberge nous échappe, nous file entre les doigts. Qu’on nous arrache nos repères, et que nous sommes à la fois les victimes et les bourreaux des bouleversements que subit la Nature, notre monde. Je me revois petit, jouant en pleine campagne sans savoir que le monde bascule, glisse imperceptiblement vers un avenir incertain. Je suis ému de retrouver ce petit garçon erré dans la forêt, s’attarder dans les champs en friche jusqu’à tard dans la journée. Je suis en manque de son insouciance.

En quelques lignes, je viens de créer un pont entre moi et ce petit bonhomme de 10 ans. Un pont fait de souvenirs, de sensations, d’images, de vibrations qui s’estompent avec le temps, mais auxquels je m’accroche avec fermeté. Un lien temporel, une frontière où se mêlent ma conscience et mon inconscience, comme un iceberg. C’est de là que je souhaite partir pour écrire une histoire originale qui saura inspirer les gens. Je ne souhaite pas révolutionner quoi que ce soit. Je désire contribuer à un mouvement de pensée qui permette de faire évoluer les consciences. Nous sommes si nombreux et chacun peut aider à son niveau. Et pour ma part, c’est à travers l’art du spectacle. C’est pourquoi je suis venu à Alexandre pour lui proposer un pitch d’histoire. Une histoire où il n’y a pas de gentils ou de méchants, à l’image de certains films des Studios Pixar et du réalisateur Hayao Miyazaki. Mais plutôt une situation à traiter, un sujet à défendre. Et Alexandre m’a tout de suite dit oui. L’univers que je lui ai proposé de développer était largement inspiré d’une nature faite de paysages nordiques, un monde qui me bouleverse et m’appelle. Joseph Brodski disait : « Aux basses températures, la beauté est beauté ». Un espace vierge, à la fois doux et brutal, où de sa blancheur peut héberger une imagination salvatrice.

L’iceberg (IJSBERG en norvégien) est pour moi le plus beau et le plus triste symbole d’une nature qui s’effrite avec le
temps. Il représente bien ce combat intérieur entre cette anxiété omniprésente face aux bouleversements écologiques et cet optimisme qui me pousse à porter ce spectacle.

Adrien Fournier

L’histoire se passe dans une ambiance post-apocalyptique, dans une immensité enneigée où la nature a repris ses droits après une catastrophe planétaire. Les survivants déambulent sans savoir où ils vont. Sans vraiment de but.

Il est important de sensibiliser le public sur notre rapport à la nature et aux dangers auxquels nous allons faire face, mais ce qui m’intéresse surtout dans ce spectacle, c’est avant tout raconter dans quel état émotionnel et psychologique se trouvent ces survivants plutôt que de parler de la catastrophe en elle-même; ou de faire la morale sur ce qu’aurait dû faire l’humanité pour éviter ça. D’ailleurs, les spectateurs ne sauront peut-être jamais vraiment de quelle catastrophe nous parlons. Quelque part, ils le savent déjà. Les paysages enneigés, les espaces infinis du grand nord, tout ceci est le contexte dans lequel nous pouvons raconter ce qui se passe pour ces êtres. Il symbolise l’espace mental des personnages. Les mécanismes internes de l’esprit humain.

L’iceberg représente la conscience de par sa partie visible, et la partie submergée l’inconscient. Et la mer, l’océan, est la frontière où se trouvent les personnages. Ils sont perdus entre deux mondes. Un pied dans le passé, dans leurs racines, dans le monde d’avant. Et un pied dans le futur qui se présente devant eux ; le début d’une nouvelle ère. Perdus dans les vestiges et les ruines, sans connaître la marche à suivre, ils attendent de voir ce qui va leur tomber dessus. C’est un peu une allégorie du purgatoire. Dans l’attente d’un jugement, ils essaient de vivre comme ils peuvent. « Le vent se lève… il faut tenter de vivre » disait Paul Valery. Un pied dans la réalité qui les entoure, le grand froid, la survie, l’altérité. Et un pied dans l’imagination, la poésie et l’absurde, nécessaires à leur survie mentale.

L’imagination est notre axe principal de recherche dans tous nos spectacles. Là encore nous pouvons utiliser cette phrase de Peter Handke que nous aimons tant : L’imagination guérit la matière. Et dans ce spectacle, elle trouve tout son sens et sa résonnance

Alexandre Finck

Crédits photos : M[Art]ha