NOTE D’INTENTION

Avec ce nouveau projet Géométrie Variable, j’ai envie de questionner ce qui fonde la véracité d’une information : comment créer une impression de vérité et ainsi partager de fausses informations ? Comment piéger l’esprit critique du spectateur ? Géométrie Variable déploiera des mécanismes similaires à ceux à l’oeuvre dans les fake news afin de questionner le public et d’éveiller la conscience du doute et du libre-arbitre. J’aimerais utiliser la magie pour parler de quelque chose de plus grand que ce qu’elle raconte en tant que telle, pour créer un espace où le doute surgit.

Nous percevons tous le monde à travers notre propre prisme. Qu’est-ce qui peut venir influencer, modifier ce prisme ? Comment détourner la réalité et ainsi venir perturber notre vision d’un fait ?

Avec mon premier projet Cerebro, je suis intervenu dans le cadre d’une résidence territoriale soutenue par la DRAC et le Théâtre de la Cité Internationale dans un lycée professionnel. Cette année passée auprès des jeunes m’a permis de me confronter à leurs croyances ainsi qu’à leurs modes de pensées. J’ai pu remarquer que nombre d’entre eux remettaient en question des phénomènes ou des thèses scientifiques sans aucune autre preuve que ce qu’ils pouvaient lire sur les réseaux sociaux. Ces théories ne se retrouvent pas que chez les jeunes mais sont aussi développées par des adultes. Une enquête récemment menée par l’institut IFOP suite à une demande de Conspiracy Watch démontre que de plus en plus de personnes seraient enclines à croire et à partager des fake news. Cette tendance s’est considérablement renforcée au cours des dernières années. Nous sommes entrés dans une période où l’opinion personnelle, l’idéologie, l’émotion, la croyance l’emportent sur la réalité des faits et où il devient parfois très difficile de démêler le vrai du faux. Pour Gustave Kuhn, directeur du « Magic Lab » (département de psychologie de l’Université de Londres qui met en lien la magie et les neurosciences) :

« Les fake news utilisent les mêmes mécanismes que les tours de magie. Tous deux, en trompant notre attention et notre vigilance, exploitent nos failles cognitives. Ce sont deux exemples de faux avérés qui produisent tout de même une impression
de vérité. »

Dans cette ère dite de “Post Vérité” le magicien fait figure d’expert puisque le travail du magicien est justement de détourner le réel. Le magicien se sert de ses outils que sont les détournements d’attention, les trucages et les manipulations pour présenter au spectateur un phénomène destiné à modifier son schéma de pensée. Celui-ci se retrouve alors en conflit avec ce qu’il sait, ce qu’il pense et ce qu’il vit au moment même de l’expérience magique.

QU’EN EST-IL DE LA PENSÉE CRITIQUE ?

La magie nous permet d’aborder différents thèmes comme la croyance, le rapport à l’autorité, la manipulation, le secret, le mensonge, ce qui est réel, ce qui ne l’est pas. Elle consiste à manipuler nos perceptions, elle exploite nos failles cognitives. Nous utilisons la dramaturgie pour détourner l’attention des spectateurs afin qu’ils ne regardent pas ce qui est important, qu’ils ne voient pas ce qui se passe sous leurs yeux et ainsi faire croire à une chose impossible, paranormale.

Géométrie Variable se présentera comme une circulation autour d’expériences magiques qui permettront d’analyser des mécanismes présents dans les fake news. Je m’intéresserai par exemple, à la rumeur pour aborder la manière dont l’information peut se déformer à travers le récit, aussi honnête et sincère puisse-t-il être. Dans ce spectacle, on cherchera finalement à montrer que, dans l’information, c’est bien l’humain qui est la variable. La géométrie est supposée invariable, mais pourtant l’humain la rend variable.

Matthieu Villatelle